PP29

" Ecija "

Ecija, le 20 février 1817


Tu ne t'attendais pas, mon cher papa, de recevoir de moi une lettre datée d'Ecija, mais puisque le hasard veut que j'y soit retenu pour quelques heures au moins et peut-être pour un jour par le manque de voiture pour continuer ma route vers Séville, je ne puis pas mieux employer mon temps qu'à vous donner de mes nouvelles. Voilà le fait, comme je terminai à Cordoue mes affaires plus promptement que je ne croyais et que je me trouvai tout à fait rétabli à l'exception d'un petit reste de croûtes au derrière, je m'occupai de chercher une voiture pour moi et mes malles que je ne pouvais pas laisser derrière moi dans cette ville où je n'ai pas de commettants qui auraient pu me les acheminer. Je m'arrangeai donc avec un carro. Ce sont des grandes charrettes couvertes et qui vont toujours au pas, de sorte que leur allure est très douce, d'autant que l'on a un matelas pour se coucher si l'on veut, et que l'on est entièrement à l'abri du soleil. Toutes ces conditions réunies à celle d'un bon marché excessif me déterminèrent à employer cette voiture, qui quoiqu'elle aille plus doucement que les autres, fait le même chemin dans la journée. Malheureusement, il n'y en avait pas qui allasse jusqu'à Séville en droiture, et je fus forcé de m'ajuster d'abord pour aller jusqu'à Ecija où l'on me dit qu'il y avait tous les jours des occasions des mêmes voitures pour Séville qui n'est qu'à 15 lieues. En effet, il s'en rencontre presque toujours, mais par hasard il ne s'en n'est pas encore présenté un jusqu'à présent. Il est très possible que d'ici à deux ou trois heures il en arrive. Sinon la partie sera remise à demain. Le seul désagrément qu'il y a est un jour perdu, mais c'est un fort petit malheur, d'autant plus que je suis ici dans une fort bonne auberge. Du reste je me porte à merveille, et les dix lieues que j'ai faites hier ne m'ont pas plus fatigué qu'une promenade de trois quarts d'heure.


Ecija est plus petite que Cordoue, mais c'est une ville fort jolie. Plus on avance en Andalousie, plus le pays devient beau et l'on s'aperçoit de la différence de cinq lieues en cinq lieues. Les maisons sont propres, les gens sont polis, la nourriture est meilleure, enfin on se croit rapprochés de la France.


Il s'est passé trois ou quatre courriers pendant mon séjour à Cordoue sans que je reçusse de vos nouvelles que j'attendais avec bien de l'impatience. Peut-être seront elles arrivées par le courrier qui a suivi le jour de mon départ. J'ai laissé des instructions pour qu'on me les fit suivre à Séville. J'espère que là, je vais en trouver en arrivant. Ne soyez pas paresseux, vous ne pouvez vous imaginer le plaisir que j'éprouve seulement à voir l'écriture de l'adresse quand je la reconnais pour être de l'un de vous. Vous voyez que je ne vous épargne pas et qu'en général, je ne vous fait pas languir, car je crois que jusqu'à présent vous n'avez pas à vous plaindre, et maman n'aura pas eu souvent des moments d'inquiétude, que si elle en a eu, ils n'auront pas été longs. Vous pouvez m'écrire hardiment à Séville, car j'y serai pour le moins un bon mois si ce n'est pas six semaines. Je serai moins de temps à Cadix.


Adieu mon cher papa, porte toi bien et embrasse toute la famille comme je t'embrasse de tout mon coeur. Patience, patience, j'arrive.

Prosper


Bien des choses à toute la famille Delamarre. Dites à Robillard que s'il est enfin marié, je fais des voeux pour son bonheur.


Bientôt vous ne devrez plus mettre sur l'adresse "par Bayonne".