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" On venait de demander ta soeur en mariage !    "

Ce 29 novembre 1816


Au moment, mon cher Prosper, que nous avons reçu ta lettre du 14 venant de Vittoria, nous étions tous occupés d'un projet très sérieux, qui nous intéressait tous. On venait de demander ta soeur en mariage ! Cette grande affaire nous avait déjà fait faire bien des réflexions, et si nous avons différé à t'écrire de quelques jours, c'était pour être à même de te donner plus de détails à ce sujet. Je te donnerais en cent, en mille à deviner qui, que tu ne mettrais pas le doigt dessus. C'est un jeune homme de 27 à 28 ans, qui est venu droit à Pascal (après lui avoir demandé un entretien particulier) lui faire part du désir qu'il avait d'entrer dans notre famille. Il est associé dans une maison de commerce. Tu crois peut-être y être, et bien point du tout, car c'est l'associé de Mr Richard, fabriquant de schals, demeurant en face de nous au premier. L'état ne déplaisant pas à Prudence, nous n'avons pas rejeté sa demande, et nous nous sommes occupés de suite à prendre des informations. Je présume bien qu'il en avait pris de son côté avant de faire sa demande, et qu'elles lui avaient bien convenu. Ne connaissant personne qui put nous donner les renseignements que nous voulions avoir sur le jeune homme et son alentour, ton père s'adressa à Mr Loffet, qui de suite chargea Mr B. de cette commission délicate, qui la faite avec toute la grâce, le zèle, les soins minutieux qu'on aurait pu attendre d'un ami ; aussi lui en avons-nous la plus grande obligation. On ne lui avait pas dit, ni à Mr Loffet, de qui il était question, et je croyais que ses idées se porteraient naturellement rue des deux Portes St Sauveur, mais le pot aux roses a été découvert lorsqu'en allant prendre des informations chez le beau-père de Mr Richard, on le prit pour Pascal. Nous avions aussi chargé Finot d'en prendre chez les Colin père et fils. Tout ce que nous avions recueilli jusqu'à ce moment était à l'avantage du jeune homme. C'était sur son talent, son instruction commerciale qui lui avaient fait faire à lui seul son état. Il est pour moitié dans l'association. On dit qu'il a reçu de l'éducation, il n'a pas de fortune, fait marcher à lui seul, à peu près, la maison où il est. Il a bonne tournure, parait froid et timide. Nous ne savons rien de son caractère, mais nous venons d'apprendre que son père est coiffeur à Lyon, exerçant encore ses fonctions. C'est de lui-même que ton frère l'a appris hier le tenant dans son bureau. Ce fut pour Piet, comme tu peux le penser, un coup de massue, et pour le pauvre prétendant un coup d'éteignoir, sans cependant la moindre explication, l'ayant simplement remis quelques temps pour lui dire notre détermination. On ne la lui fera pas attendre longtemps. Il appartient à de braves gens, mais il y a des choses sur lesquelles il est impossible de passer. Ta pauvre sœur est bien de notre avis, tout en ayant le désir de s'établir lorsque l'occasion se présentera convenable pour elle et tous les siens. Ici je laisse la plume au père.


Attendu qu'on m'a laissé le bas de ma page, je vais en profiter tandis que le gros Pascal parle domaine avec le père. Ton parrain continue de se mieux porter, sa bonne soeur va bien aussi, ils comptent tous les deux partir définitivement pour Nantes au printemps prochain. Je vois avec un plaisir extrême le soin que tu prends de mon signor cavallero don Prosper de Piet, tu ne peux pas me donner une plus grande marque de tendresse. Je m'abonnerais bien à te voir revenir comme tu le calcules dans cinq mois, tu donnerais là un beau bouquet à ton pauvre père. Je reste sur cette douce idée, en t'embrassant comme je t'aime, Piet attend ma lettre pour la mettre à la poste, et il n'entend pas raison.

(mère)



" Quand on a de bonnes nouvelles... deux mots suffisent "


Je calcule, mon cher ami, d'après ta lettre du 14 à laquelle nous avons donné le numéro 9, que tu es près d'arriver à Madrid, de sorte que tu recevras la nôtre au moment même où elle parviendra dans cette capitale. Tu auras par conséquent de nos nouvelles les plus fraîches possibles.


Je crains que tu n'aies calculé trop maigrement ton séjour à Burgos et à Valladolid, car on ne va pas vite en Espagne, et là comme ailleurs, combien de circonstances imprévues qui retardent l'exécution des dispositions projetées. Je te vois donc pour un grand mois à Madrid, je dirais même six semaines ; et en allongeant ainsi tes stations, je n'aperçois encore que dans le lointain ta face retournant vers nous. Nous t'écrirons encore une fois à Madrid, bien persuadés que notre prochaine lettre qui sera expédiée dans la huitaine t'y trouvera encore.


Le commerce est en stagnation dans tous les pays, ainsi ta maison ne sera pas étonnée des minces résultats de tes négociations. Aie soin de la tenir au courant de toutes tes démarches. Quand on a de bonnes nouvelles à annoncer, deux mots suffisent, mais la nullité des résultats doit être annoncée avec des détails qui prouvent qu'on n'a rien négligé pour obtenir des succès. J'en reviens toujours à l'idée que le voyage sera toujours très utile pour toi et que tu vas nous revenir plus homme au physique et au moral que si tu eusses continué tes opérations ordinaires de la rue Meslée. Je serais bien content si tu venais à bout de terminer la négociation dont tu es chargé concernant les anciennes affaires de Mr Loffet. Tes petites notions de droit et de pratique pourront t'être utiles en cette partie.


Je ris de te voir sur ta mule un parapluie en main, mais le spectacle n'est pas nouveau pour moi. J'ai vu mon grand oncle le chirurgien en user ainsi dans ses courses de campagne. Je crains que l'alternative fréquente et subite du froid et du chaud ne nuise à tes dents. Ménage les le plus possible.


Notre dernière lettre partie le 16 novembre est adressée à Vittoria ne t'y aura pas trouvé, mais je présume que Mr Kreibik te l'aura fait passer ou te l'enverra à Madrid où tu auras trouvé nos lettres des premier et 9. Aies soin de nous accuser réception de toutes nos épîtres.


Rien de nouveau à la maison hors l'objet dont ta mère t'entretient. Nous nous portons bien et désirons qu'il en soit de même de toi. Je t'embrasse pour tous bien tendrement.

P.