PaL18

" Ton pauvre parrain se met en route "

Paris ce 2 mars 1817


C'est demain jour de fête de Sainte Cunégonde, mon cher ami, que ton pauvre parrain se met en route avec sa soeur pour aller rejoindre leur terre natale. Ils se portent passablement l'un et l'autre et le frère mieux que la soeur. Il ne se fera point d'adieux pour nous épargner les émotions respectives. La soeur grille d'être en voiture et lui prend la chose assez gaiement. Ils vont demeurer ensemble à Nantes dans une petite maison distincte du reste de la famille, ayant domestique mâle pour lui, servante pour elle. Ainsi tu vois que comme retraite, ce n'est pas si mal terminé. Que n'es-tu dans le cas de revenir par la Bretagne, tu ferais là une pose agréable et où tu saurais bien sûr que le coeur serait de la partie.


J'ai entendu dire hier que les papiers anglais annonçaient une insurrection à Madrid, qu'on était heureusement parvenu à réprimer très promptement. Quoique tu n'aies rien à démêler dans semblable affaire, je t'ai su avec plaisir à 60 lieues de là. Le pays que tu parcours maintenant est à ce qu'il parait par sa richesse et ses occupations à l'abri de pareils mouvemens. Séville, où tu vas être si tu n'y es déjà rendu, est annoncée être une ville bien intéressante sous beaucoup de rapports, particulièrement sous celui du commerce. Puisses tu y faire de bonnes affaires pour ta maison. C'est là au reste, où tu vas te trouver mis au courant pour notre correspondance, et où recevant les lettres qui t'y auront précédé et reprenant celles postérieures qui te sont parvenues à Cordoue, tu auras tout le fil de nos affaires. Il n'est peut-être pas inutile que je rappelle ici toutes les lettres que nous t'avons écrit.


à Bordeaux... à Bayonne... à Vitoria...

à Madrid...

à Séville...

à Cordoue...


Ta dernière lettre datée de Cordoue, 12 et 13 février qui nous est parvenue le 28 est la 26ème. Je laisse à ta mère à te parler de ton érésipèle que j'ai vu avec satisfaction avoir été très peu de chose. Il ne parait pas que tu eusses jusqu'ici fait usage de ta seringue. Le petit meuble aura fait plaisir comme bouteille à celui qui l'aura trouvé, et tu n'as pas beaucoup perdu en le perdant, mais ton sac de lit était plus précieux ? Fais en refaire un autre sur le modèle de celui qui te reste. Quant aux pistolets, ils appartenaient dit-on à Mr Baillot. Je présume qu'ils n'étaient pas de grand prix et que tu pourras aisément les remplacer s'il y a lieu. On se console aisément de ces petites pertes quand on songe à celles plus grandes qui ne sont pas impossibles en route, telles que la montre, ... portemanteau. Vous autres, voyageurs par métier, vous devez prendre des habitudes qui vous préservent d'accidents plus fréquents parmi ceux qui ne voyagent qu'accidentellement. Ton écuyer n'a pas gagné son argent, ou tu n'as pas été assez attentif à ses leçons, puisque l'une des premières choses qu'il ait dû te recommander c'est de t'assurer si les chevaux que tu montes sont bien sanglés. Quant au caveçon, je conçois que tu ne pouvais guère te douter de l'existence de ce petit aiguillon. Examine, au reste, les différences des harnais des chevaux ou autres bêtes que l'on emploie dans les pays que tu parcours, ce n'est pas chose absolument indifférente, même sous le rapport du commerce.

(papa)



" Ce ne sont pas de petits rhumes follets "


Paris ce 3 mars 1817


Tu n'es pas le seul à être malade, mon cher Prosper. Si l'Espagne produit des érésipèles, des galons ; la France ou du moins Paris produit beaucoup de rhumes en ce moment, et ce ne sont pas de petits rhumes follets, car quand ils sont négligés ils vous envoient ad patres, il y en a trois dans la maison. Prudence a pris de la poudre à perlimpinpin ce matin, afin de jeter son rhume dans sa cuvette ; maman, qui n'a point pris d'ipécacuana n'en est pas moins malade. Elle a eu souvent des envies de vomir dans la journée, qui lui ont d'autant plus fait de mal qu'elle a toujours fait d'inutiles efforts. Sa maladie a aussi commencé par un rhume, elle avait cependant passé une bonne nuit. Eh ! Moi aussi je suis malade, mais je ne laisse pas mon rhume s'endormir, dame la plume oisive je le porte chez mon maître d'allemand, au lycée et partout où mes occupations journalières me demandent. Cependant, j'ai été forcé de garder la maison vendredi et je n'ai pas pu prendre ma leçon d'allemand jeudi, ne pouvant pas parler parce qu'au rhume se joignait le mal de gorge. Il n'y aura je crois que moi et papa qui t'écriront par ce courrier, car la lettre doit partir demain et maman est couchée et elle ne se lèvera pas de bonne heure. Prudence, qui se couche aussi profitera je crois de ce qu'elle a pris un vomitif aujourd'hui pour dormir demain tranquille (car tous les jours je la réveille quand elle paresse). Pour Pascal il fait un rapport au conseil ; demain il n'aura guère le temps car il faudra que papa finisse sa lettre. Je t'embrasse donc de la part de tout le monde. Il faut espérer que le prochain courrier tu seras plus heureux, et que nous pourrons tous t'écrire.


Adieu jusqu'à la fête de ma mère, car Mr Baillot nous a promis hier que tu serais revenu pour cette époque. Je suis toujours en attendant ton frère l'écolier.

G. Piet


Ce 4 mars


J'en étais resté ici avant hier pour aller promener mes deux enrhumées : le soir la mère a fait les honneurs jusqu'à minuit, la fille a dansé à peu près jusqu'à la même heure. Hier, nos deux dames se sont médicamentées et ce matin la fille est tout à fait bien. La mère a bien dormi mais garde encore le lit et je crois qu'il faudra avoir recours à la magnésie. Ne prend nulle inquiétude de ce que te dit Gabriel, tout cela est plus nerveux qu'autre chose.


Pascal me presse pour lui remettre les lettres. Je t'embrasse.

(papa)