PaL2

" Une bonne épouse, une femme précieuse, par ses principes... "


Paris, ce 10 octobre 1816


Nous avons eu hier, mon cher ami, de tes nouvelles par ton bon parrain, qui a été bien satisfait de ta lettre, et par messieurs Lafitte et Baillot qui sont venus m'en donner. Ils m'ont offert, et même pressée, lorsque tu seras en Espagne, de leur envoyer notre correspondance qu'ils te feraient passer dans la leur ; nous en profiterons quelquefois. En attendant, je t'écris directement à Bayonne espérant que cette lettre t'y trouvera encore, ou qu'elle te parviendra par la voie de Mr Poydenot que tu chargeras sans doute de faire passer les paquets ou papiers qui pourraient t'être adressés chez lui. Tu ne quitteras sans doute pas cette maison sans nous envoyer ton itinéraire. Il parait que le voyage jusqu'à ce moment te fait bien à la santé, j'espère qu'il en sera de même en Espagne, et que tu nous reviendras gros et gras. La partie de la famille baignoise a donc été bien heureuse de te voir ? Je m'y attendais bien, que de questions chacun t'aura faites ? Avec quel plaisir cette pauvre Philippine aura parlé des deux années qu'elle a passé avec nous ! Si nous n'avions pas éprouvé tant d'échecs qui nous ôtent toute notre aisance, j'aurais été visiter tout ce monde là au printems. Je ne conçois pas la négligence de Piet et Florentin à l'égard de leurs parens. Combien leur sensibilité a dû souffrir ? Gabriel travaille fort à son allemand, tu sais qu'il est tout feu. Philippe commence ce soir les armes, il veut dit-il se lancer. Il n'y a que la pauvre Prudence qui reste toujours en arrière. J'ai fait, je crois inutilement, la dépense de l'arrangement de sa lyre. Elle ne l'a même pas essayée depuis huit jours qu'elle est rendue. Il est vrai qu'elle n'a pas de sujet d'émulation, ni personne à présent qui puissent la faire travailler, Philippe n'en ayant pas le tems, ainsi il faut prendre là dessus son parti. Elle se livre plus volontiers aux soins du ménage, et quelques études plus sérieuses, c'est l'essentiel. Mon but principal est d'en faire une bonne épouse, une femme précieuse, par ses principes, pour celui qui la possédera, et je crois que mes espérances seront remplies. Nous donnons enfin notre retour de noce* dimanche prochain, j'ai engagé famille, amis, connaissances etc. Je ne sais pas trop où nous caserons de 70 à 80 personnes, n'importe, il faudra bien s'en tirer ; ta soeur et Gabriel te raconteront le résultat de cette fameuse journée.


Ton parrein a repris un peu de force. Il dort, mange bien, peut se promener, et malgré sa répugnance partira probablement pour la Bretagne au printems. Il vient de donner congé de Chaillot. Je le vois avec peine renoncer à ses habitudes les plus douces.


Je laisse la plume à qui voudra la prendre, non sans t'avoir embrassé de toute la tendresse de mon âme.

Piet (mère)


* Les parents de Prosper, Philippe Louis PIET et Marie Thérèse Prudence MUTEL, se sont mariés le 20 septembre 1788.




"Cette diable de prononciation"


Tout m'encourage à apprendre l'allemand, mon cher Prosper. Le maître me dit que ça ira bien, et cela m'amuse. C'est un grand point. Seulement ce qui me chicane, c'est cette diable de prononciation, car l'écriture va assez bien. C'est risible de voir le contraste du maître qui me débite ces mots allemands avec un grand sang froid, et de moi, qui fait des contorsions afin de pouvoir prononcer de même que lui. Mais il faut espérer que cela ira, maintenant que je ne vais pas encore au lycée, je travaille uniquement à cela. Ce qui m'encourage beaucoup aussi, c'est la grande douceur de mon maître. J'ai été l'autre jour chez lui, parce qu'il y avait monté sa garde* et qu'il la descendait le même jour. J'ai vu son chapeau de vieux papa et son fusil qui a pour baguette un roseau. Du reste, il est bien logé, il a un gentil appartement, sa femme tient une petite pension de jeunes demoiselles. Mais une visite vient m'interrompre, je n'ai le temps que de dire

Inbnn Vin wofl, mrin linbns Jvnunv.


Ton cher frère

Gabriel



* Sans doute en rapport avec la garde nationale.

Monter sa garde, passer au poste le temps voulu par le service.

Dictionnaire Le Littré