Germanicus

"  Germanicus  "

Germanicus


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Antoine-Vincent Arnault, secrétaire de l'Académie française

par François-André Vincent (1801)


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"Germanicus" est une tragédie écrite par Antoine-Vincent Arnault, inspirée du général romain.


A-V Arnault, 1766-1834, était un tragédien classique, un fabuliste et un poète, reçu à l'Académie Française en 1803. Député au Corps législatif pendant les Cent-Jours,  réputé pour son attachement particulier à Napoléon et ennemi de Fouché, il fit parti des bannis du 24 juillet 1815. Il fut aussi,  par ordonnance, rayé de la liste des académiciens en 1816. Arnault s'exila en Belgique. En quittant Paris, il avait laissé son Germanicus au Théâtre-Français.


Le gouvernement, de l'aveu même d'Arnault, " sachant respecter les droits d'un citoyen dans un proscrit ", avait autorisé la représentation de la pièce.  Curieusement, les journaux les plus à la solde du gouvernement, n'eurent pas la dent trop dure, reconnaissant la beauté intrinsèque de l'œuvre :


Journal de Paris, Politique, commercial et littéraire, 25 mars 1817 :

Les représentations de Germanicus viennent d'être suspendues, et les amis de l'ordre applaudissent à une mesure que des imprudences ont rendue nécessaire. Sans doute ils regrettent qu'un ouvrage, qui renfermait de véritables beautés, n'ait pas été jugé littérairement ; que l'esprit de parti ait voulu obtenir un triomphe plutôt qu'un succès...


Le Moniteur, 26 avril 1817 :

"Germanicus" a des défauts, rachetés par des beautés réelles ; or ce ne sont pas les défauts qui tuent un ouvrage, c'est l'absence de beauté. De ce nombre, on reconnaîtra le rôle entier de Germanicus...


Voici un extrait de Germanicus :

Quelle gloire ! En effet, quel triomphe pour l'homme

Qui veille sur le trône aux grands destins de Rome,

De donner cette base à sa propre grandeur,

De rendre aux saintes lois leur antique splendeur,

De ne garder enfin, pour lui, du rang suprême,

Que ce qui peut sauver le peuple de lui-même,

Et d'élever sa gloire et sa prospérité

Sur l'accord de l'empire et de la liberté !


Je cite ce passage, notamment pour " l'accord de l'empire et de la liberté ", qui fut pour les uns interprété  comme un manifeste pro-napoléonien, pour les autres une preuve de la libéralité du roi de permettre que la pièce soit jouée, etc.


Ce fut un épisode malheureux pour Arnault qui retarda son retour en France, où il ne rentra qu'en novembre 1819  et ne fut réélu membre de l'Académie qu'en 1829. Pour un compte-rendu détaillé des événements et leurs suites, cf. plus bas Th. Muret.


Sur le plan littéraire, Arnault, tragédien classique,  fut poussé aux oubliettes par l'arrivée du courant romantique  - auquel il opposa une très vive résistance,  et par l'ascension de V. Hugo qui en fut le chef de file. En voici pour lui la malheureuse issue :


" Au mois de janvier 1829, quelques jours avant la première représentation d'Henri III au Théâtre-Français, quand Arnault et les siens virent que les foyers mêmes de la tragédie étaient menacés, ils appelèrent à leur aide tous les dieux de la tragédie, et comme les dieux étaient sourds, ils s’adressèrent au roi Charles X. Dans une longue supplique où ils déclaraient que le Théâtre-Français, s'il ouvrait ses portes aux novateurs, tomberaient bientôt au-dessous des tréteaux les plus abjects, ils demandaient que notre première scène fût fermée aux pièces de l'école moderne. Cette bizarre requête, où l'on suppliait Charles X de faire un coup d'état classique et de proclamer la légitimité d'Aristote, était signé par sept écrivains tous ennemis de la légitimité des Bourbons.


On connaît la réponse de Charles X: " En fait de littérature, je n'ai, comme chacun de vous, Messieurs, que ma place au parterre ".


 

Les romantiques qui avaient eux aussi, leur place au parterre, ne négligèrent pas de l'occuper, notamment le 27 mai 1829, lorsque le Théâtre-Français donna une vieille tragédie d'Arnault "Pertinax ou la mort de Commode". Il s'agissait de faire expier au malheureux poète la pétition dont il s'était rendu coupable. Le châtiment fut terrible. Chacun de ses vers fut salué par des sifflets et des cris, des ricanements et des quolibets, qui redoublèrent lorsqu'au moment le plus tragique, l'empereur Commode demanda son secrétaire, et qu'un spectateur de l'orchestre, Alexandre Dumas en personne, protesta contre cette pièce à tiroir* ".


*  Dictionnaire de L'Académie francaise, 5ème Edition, 1798  :

On appelle " Pièces à tiroir ", les pièces de théâtre dont les scènes sans être liées les unes avec les autres, tiennent à une idée commune, et n'ont nulle relation entre elles.



Compte-rendu de " Germanicus " et de ses suites pour A-V Arnault par  Théodore Muret (extraits) :


L'opposition aurait sans doute bien fait de se mettre de moitié, par une sage réserve, dans le procédé du gouvernement. Cela aurait même été dans l'intérêt de l'auteur ; mais cette considération fut oubliée par d'imprudents amis, et tout fut préparé pour tirer d'un fait littéraire une éclatante manifestation politique. Un mois d'avance, il n'était bruit que de ce grand événement. La première représentation de Germanicus eut lieu le 22 mars 1817. Officiers à demi-soldes d'un côté, gardes royaux et ultras de l'autre s'étaient réunis ; les premiers pour applaudir le proscrit, les seconds pour "faire tomber le rideau".


Il est inutile de dire si la foule se pressa aux abords du Théâtre-Français ; elle fut assez compacte pour obstruer la rue de Richelieu. L'animation était vive, et un incident vint l'accroître encore. Cette masse vivante rendait fort difficile la circulation des voitures. Cependant, il s'en présenta une dont le cocher, au lieu d'agir avec les précautions et les ménagements nécessaires, voulut absolument brusquer le passage. Quelle haute puissance ce carrosse avait-il donc l'honneur de porter, pour ne connaître, comme Gusman, aucun obstacle ? Le noble équipage était celui d'une princesse de coulisses, de Mlle Leverd, qui se rendait au théâtre. Comme le cocher voulait avancer malgré les cris, malgré tout, et risquait d'écraser les gens, plusieurs personnes se jetèrent à la tête des chevaux, afin de les arrêter. Pour leur faire lâcher prise, l'imprudent s'avisa de jouer de son fouet. On se figure l'effet de ce procédé plus qu'aristocratique. Le malencontreux automédon, jeté à bas de son siège et fort malmené, fut à grand'peine tiré de ce mauvais pas par l'intervention de la garde. Tout effrayée, l'illustre maîtresse de la voiture avait mis la tête à la portière, et criait avec son grasseyement connu « Je le renverrai ! Messieurs, je le renverrai ! ». Six heures arrivent, les portes s'ouvrent ; mais ceux-là même qui croient être entrés les premiers trouvent une bonne partie des places déjà occupées par des amateurs plus diligents ou plus favorisés qu'eux. La tragédie commence. Comme dans les autres pièces d'Arnault, il y avait de belles parties et des imperfections de conduite, des faiblesses et des aspérités de style avec des vers remarquables, ceux-ci entre autres qui rappellent les temps de proscription où, pour sauver sa tête  :

" Le rebelle entraînait le rebelle au supplice,

Et se faisait bourreau pour n'être pas complice ",


trait énergique et vrai, applicable à d'autres révolutions encore que celles de Rome.


Tout compensé, il y avait donc matière, pour Germanicus, à un honorable succès ; mais les amis politiques de l'auteur voulaient pour lui plus qu'une juste somme d'applaudissements ; ils voulaient une ovation signalée, une retentissante protestation contre son exil et contre tous les actes de rigueur pareils. L'enthousiasme bruyant qui fit à la pièce un cortège triomphal n'essuya aucune contradiction jusqu'à la fin ; mais quand le nom de l'auteur fut demandé à grands cris pour être salué d'acclamations et que Talma* se présenta, quelques sifflets percèrent de leur bruit aigu le tonnerre des voix amies. La furieuse explosion qu'ils provoquèrent se traduisit en une collision des plus vives, une vraie bataille de cannes, purent dire les faiseurs de calembours. Bambous, joncs, rotins, etc., pouvaient alors entrer au parterre, et peut-être, à tout événement, y étaient-ils venus ce soir-là plus nombreux que de coutume. Toujours est-il qu'ils instrumentèrent vigoureusement, les applaudisseurs tombant sur les siffleurs, et ceux-ci ne demeurant pas en reste. On vit même briller des sabres, lisons-nous dans les journaux du temps. Pour l'explication de ce fait, des souvenirs contemporains disent que deux militaires de l'infanterie de la garde auraient effectivement mis le sabre à la main, tort tout personnel et tout isolé. Le sang, néanmoins, ne coula pas, ces militaires ayant été sur-le-champ saisis, culbutés, renversés sur les banquettes. Des cris sont poussés, dans les loges, par les dames épouvantées. De l'orchestre, on se réfugie sur le théâtre. Talma se retire. Le tumulte redouble ; la lutte continue. La force armée se présente ; elle parvient à séparer les combattants, et à mettre le holà. L'auteur est demandé plus fort que jamais. Enfin, au milieu des soldats et des spectateurs fugitifs qui couvrent la scène, Talma, en habit de ville, paraît de nouveau, et l'affreux tapage se termine par l'annonce que l'auteur désire garder l'anonyme.


Le lendemain, une ordonnance défendit d'entrer désormais au parterre avec des cannes ou armes. Quelconque prohibition qui est restée toujours en vigueur, mais dont beaucoup de personnes ignorent l'origine. Le rôle extrêmement actif que les rotins avaient joué dans cette mémorable et tapageuse affaire, fit qu'on les appela des germanicus.


Malheureusement, l'oeuvre et l'auteur payèrent les frais de la guerre. La tragédie, très innocente par elle-même de la bagarre, fut interdite pour motif d'ordre public. Il paraît bien que l'intention du gouvernement était de faire cesser l'exil d'Arnault, si la représentation de son ouvrage s'était passée sans aucun désordre. Cette mesure désirable fut ajournée ce fut seulement deux ans après, en 1819, qu'Arnault put revoir sa patrie. L'Académie française, qui s'était honorée en souscrivant à une édition des œuvres de l'écrivain banni, publiée en Belgique, avait fait aussi de pressantes démarches en faveur de celui qu'elle regardait toujours comme un confrère.


A son tour, Germanicus vit lever son interdit. La seconde représentation en fut donnée le 20 décembre 1824, sept ans et neuf mois après la première. La distribution avait subi quelques changements Desmousseaux remplaçait Saint-Prix Mme Paradol remplaçait Mlle Georges, qui, dans son errante carrière, avait quitté le Théâtre-Français pour n'y plus rentrer, et était alors à l'Odéon.


Cette fois, l'ouvrage qui avait excité tant de bruit ne souleva plus les passions et ne fit pas naître le moindre orage. On le jugea tout littérairement son succès fut incontesté, mais non pas enthousiaste, et Germanicus continua d'être au répertoire pendant quelques années, même après la mort de Talma, plus sans doute par considération pour son auteur que par son influence sur les recettes.


En 1829, Arnault put enfin rentrer à l'Académie. Il y revint siéger comme successeur de Picard, par une élection pour laquelle l'approbation souveraine avait été assurée d'avance. Il fut nommé secrétaire perpétuel en 1832, et mourut en 1834. Ce fut Scribe** qui, après lui, occupa le fauteuil vacant.


* François-Joseph Talma était l'acteur  le plus prestigieux de cette époque. Il était concurrencé dans le théâtre privé par Brunet, qui de 1800 à 1825 fut considéré comme le comédien le plus populaire de Paris et de France (Théâtre des Variétés). Dans Germanicus, Talma se présente à la place de l'auteur, les sifflets redoublent car  Talma est lui-même un bonapartiste résolu.

cf. https://fr.wikipedia.org/wiki/Fran%C3%A7ois-Joseph_Talma


** J'aurai à parler d'une pièce de Scribe " Le combat de Montagnes ", sur un registre beaucoup plus léger, ultérieurement.


Bibliographie :

http://www.academie-francaise.fr/les-immortels/antoine-vincent-arnault


L'Histoire par le théâtre, 1789-1851. La Restauration / Théodore Muret