Contexte

La France en 1816-1817


Situation politique en 1816

Après les Cent-Jours - bref retour de Napoléon au pouvoir en 1815, débute la seconde Restauration, qui sera le régime politique de la France jusqu'en 1830. C'est  une situation de cohabitation1 comme on ne l'imagine guère à notre époque. La France se trouve d'autant plus humiliée que la gloire Napoléonienne a cédé le pas aux exigences des Alliés - prussiens, anglais, russes, autrichiens - qui ont chassé Napoléon. Ceux-ci représentent une présence difficile à supporter, et exigent une rançon de guerre d'autant plus délicate à rembourser que le pays a été appauvri par les campagnes des années précédentes.


Louis 18 décide de reprendre son trône en juillet 1815 dans une certaine crainte de la réaction des français. Ceux-ci en effet sont déchirés : républicains, bonapartistes, royalistes, ultra royalistes désirent le pouvoir.


Autant les Alliés avaient installé Louis 18 sur le trône en 1814, autant ils sont septiques (après l'exemple des Cent-Jours) quant à ses chances d'assurer un gouvernement stable. Louis 18 décide donc de revenir à Paris avant que les Alliés ne choisissent un autre dirigeant ; pour certains historiens, ce retour en catimini symbolisera un règne qui sera celui de la compromission. En effet, pour asseoir son pouvoir, Louis 18 doit accepter dans un premier temps de gouverner avec Fouché, qui a condamné Louis 16. Fouché qui sera destitué en août 1815 par la Chambre composée d'une majorité d'ultra royalistes, "chambre introuvable"2, qui se réunissait notamment chez un député Piet, possiblement cousin de la famille Piet qui nous intéresse3.


Louis 18 doit donc transiger avec Fouché, avec les Alliés, avec les ultras, avec les républicains. Au moment où Prosper part en Espagne, la  Chambre introuvable vient d'être dissoute, et le gouvernement est tenu par Richelieu, beaucoup plus modéré. C'est lui qui négociera les droits de guerre.





Enfin,  pour ce qui concerne particulièrement le voyage de Prosper, la guerre d'Espagne (1808-1814) a laissé des cicatrices profondes et a uni les espagnols contre les conquérants napoléoniens, restaurant un orgueil national tout neuf. On peut supposer l'appréhension que peut représenter pour un jeune français de 21 ans - qui ne s'est jusque-là pas éloigné de plus de 100 km de chez lui, l'entrée dans ce pays récemment déchiré par la guerre napoléonienne, et dans un état de dénuement extrême.








Phénomènes atmosphériques, conséquences sociales

Sur un autre plan, l'année 1816 a été nommée par les historiens  « l'année sans été ». En effet,  des éruptions volcaniques à partir de 1812, et surtout celle du mont Tambora (île de Sumbawa, Indonésie) en avril 1815, entrainèrent en 1816 un climat désastreux pour les récoltes, avec un hiver long et pluvieux, un printemps froid puis un été  pluvieux et aux températures exceptionnellement basses.  Il y eu en France, en Europe mais aussi aux Etats-Unis, Chine etc. une  période de famine qui à Paris se traduisit par  une augmentation vertigineuse du prix des céréales, et qui entraina des révoltes dans plusieurs régions de France. Ces difficultés ont persisté jusqu’en 1817.


On attribue à ses conditions météorologiques particulières des productions artistiques remarquables : William Turner  a immortalisé ces couchers de soleils si particuliers - on a décrit à cette époque de la neige de couleur rouge, due aux particules volcaniques, et dans un autre style, la future Mme Shelley, inspirée par ce climat désastreux, a donné naissance à son personnage de Frankenstein.



Eléments généalogiques


Mon lien de parenté

Prosper est est né le 05 mars 1795 à Montmartre, il est le deuxième fils de Philippe-Louis Piet et de Marie-Thérèse Mutel. Le lien généalogique est le suivant : Prosper a un fils, Henri, qui a une fille Geneviève-Amélie, qui épouse Joseph Beuzon mon arrière-grand-père, Michel mon grand-père, François mon père, Stéphane (moi). Prosper est donc pour moi le grand-père paternel de mon arrière-grand-mère paternelle.


La famille Piet en 1816-1817

Au moment du voyage de Prosper, Philippe Piet père a 61 ans. Il est chef de division de l'administration des domaines. Il a eu cinq enfants avec Marie-Thérèse Mutel. Pascal a 26 ans et suit les traces de son père dans l'administration. Philippe, 19 ans veut être notaire. Prudence a 18 ans et semble bonne à marier. Enfin Gabriel, 15 ans, souhaite suivre le même chemin que Prosper. La famille habite rue Bourbon-Villeneuve, au numéro 33 (actuelle rue d'Aboukir).


Arbre généalogique

Simone Piet (1922-2010), passionnée de généalogie et  avec l'apport des documents retrouvés (voir ci-dessous) a publié à compte d’auteur « Histoire d’une famille »  où elle évoque plusieurs personnages de sa lignée maternelle, des familles Lacournère, Désormeaux et Raimbert, et les Piet du côté paternel. On apprend dans son livre que Prosper et Geneviève (petits-enfants du Prosper qui nous intéresse), oncle et tante de Simone, lui avait transmis de nombreux documents familiaux.


Voici un des arbres que Simone propose dans son livre.





















Comment ces archives me sont parvenues

Ces papiers ont été rassemblés puis conservés  chez un notaire  (une des pochettes comporte la mention manuscrite  "gardées par l'étude Delval, Villers-Cotterets, remises par Me Briand le 17 avril 1936" et "papiers sans importance"). D’après   Simone Piet, à cette époque la génération des cousins Piet, Désormeaux, Raimbert était très unie, peut-être Geneviève a-t-elle été choisie pour conserver ces archives qui sont restées par la suite dans la famille Beuzon.


Mon grand-père Michel (grand-père paternel) est décédé brutalement en 1978. Ma grand-mère a souhaité déménager quelques temps après. J’ai accompagné mon père pour aider à vider la cave de l’appartement. Dans cette cave, nous avons commencé à pelleter le charbon. C’est dans le charbon que nous avons trouvé deux cartons contenant ces papiers de famille. Ces documents concernent essentiellement les familles Piet, Désormeaux et Raimbert. Le journal du voyage de Prosper était parmi d’autres lettres, papiers et certificats divers. Dans ces archives, nous avons trouvé par exemple quelques lettres de la famille Raimbert envoyées par ballon monté durant le siège de Paris de 1870, une lettre d’Emile Zola, une succession de Bougainville, de l'emprunt russe… ainsi que de nombreuses lettres de mon grand-père adressées dans sa jeunesse à ma grand-mère. Remontant de la cave, mon père a tenu à montrer notre trouvaille à sa mère, notamment la correspondance que lui avait adressée son mari à l’époque. J’étais contre cette idée qui comme je le craignais, s’est terminée par un autodafé (sans flamme perceptible) : ma grand-mère parcourait rapidement le début d’une lettre, la déchirait, puis passait à la suivante, etc. Avec le temps, je me suis dit que cette offrande était peut-être nécessaire, puisque ma grand-mère ayant vérifié à la suite qu’elle n’était pas directement concernée par les autres documents,  nous permit de les garder.


Pourquoi ces papiers de famille étaient cachés dans le charbon ? Je suppose que mon grand-père - qui d'après l'histoire familiale avait eu des relations très difficiles avec son propre père – avait  hérité de ces documents familiaux,  et n’avait néanmoins pas voulu les détruire. Il est intéressant qu'il y ait même adjoint sa propre correspondance, qui aurait donc pu être appelée à la même idée de conservation / mémoire familiale.



Intérêt pour ces lettres échangées par Prosper et sa famille


J’ai été immédiatement passionné par cette correspondance. En effet, contrairement aux autres pièces de ces archives, ces lettres nous retracent de façon assez intime la vie de la famille Piet pendant toute une année. Prosper décrit son voyage,  l’Espagne, les villes traversées, tandis que sa famille l’entretient de la vie familiale - notamment  des approches et manoeuvres pour marier Prudence - et de ce qui fait l’actualité parisienne pendant son absence.


En 1816-1817, les passions s'exprimaient dans la vie sociale et politique, particulièrement par le théâtre, comme nous le verrons par le récit de "Germanicus"; et sur un ton plus léger à propos de la pièce "Le combat des montagnes", tirée d'une attraction qui arrivait en droite ligne de Saint-Pétersbourg : les montagnes russes.


La Restauration est une époque qualifiée de bourgeoise par les historiens. De fait, la famille Piet nous donne pour notre époque une description sociologique intéressante de la bourgeoisie parisienne - peu argentée - du début du 19ème siècle.


Il m’a fallu une année pour transcrire cette correspondance, certaines lettres étant peu lisibles (c’est le cas des lettres de Malaga qui ont été incisées et trempées dans du vinaigre4).


A sa lecture au début des années 80, j’ai rapidement eu envie de trouver d’autres témoignages de l’époque en consultant des journaux, tâche laborieuse à la bibliothèque Mazarine  – photocopies interdites. Puis avec l’avènement progressif d’Internet j’ai commencé à rassembler de nombreuses informations.

 


Comment résister à mener une enquête lorsque Prosper nous  décrit un squelette d’animal "monstrueux" vu au cabinet d’histoire naturelle de Madrid ?


J'ai aussi demandé à ma fille Juliette d'illustrer le voyage de Prosper par ses dessins, de telle sorte que nous nous efforcerons de présenter cette correspondance comme un véritable carnet de voyage. 


Certaines parties de lettres restent énigmatiques, notamment pour ce qui touche, comme le dit Prudence, "aux usages et aux convenances". J'encourage les lecteurs à apporter leurs connaissances sur les sujets qui les intéressent où je n'ai fait de mon côté qu'une première recherche.


1 Le terme de cohabitation est inadapté à l'époque. Le sens qui prévaut actuellement ne date que de 1981. A l'époque, le terme de cohabitation  désignait uniquement le fait de vivre en couple sous le même toît.


2 "Chambre introuvable" dans au moins deux acceptions :

Selon le mot de  Louis 18, dans le sens où il n'aurait pas pu la constituer quand bien même l'aurait-il rêvée. L'expression "plus royaliste que le roi" date de cette époque -  Chateaubriand, "De la Monarchie selon la charte"  1816.

La chambre introuvable se réunissait en privé  rue Thérèse à Paris (réunions Piet), comme en témoigne Chateaubriand, "Mémoires d'Outre-tombe"  : "Dans ce brouillard législatif, nous parlions de la loi présentée, de la motion à faire, du camarade à porter au secrétariat, à la questure, aux diverses commissions. Nous ne ressemblions pas mal aux assemblées des premiers fidèles, peintes par les ennemis de la foi : nous débitions les plus mauvaises nouvelles ; nous disions que les affaires allaient changer de face, que Rome serait troublée par des divisions, que nos armées seraient défaites".


3 Simone Piet note dans son livre "Histoire d'une famille" que le député Jean-Pierre Piet habitait au 8 rue Thérèse.  Pierre-Charles-Mathieu Piet, notaire et cousin  germain de Prosper habitait au 5 de la même rue, sans que l'on sache s'i y a un lien de parenté entre notre famille Piet et ce député. Le courrier n'évoque jamais le député ni aucun lien de parenté avec des Piet de la Sarthe.


4 La transmission de la peste (le bacille yersinia pestis, et son vecteur essentiel la puce du rat) n'est connue que depuis la fin du 19ème siècle. Dans les nombreuses théories de protection contre ce terrible fléau, on pensait - entre autres - depuis le Moyen-âge que les lettres étaient susceptibles de propager la peste.  L'arrivée de Prosper à Malaga - en mai 1817 - correspond à l'éclosion d'une épidémie de peste   en Algérie qui sévira jusqu'au début de l'année 1818. Le courrier au départ de Malaga est donc traité au vinaigre à titre prophylactique. 


Exemple de lettre  adressée à Prosper - écrite par Prudence, le père, Gabriel, la mère remplit les espaces restants